Z’à la vie ! Z’à la mort !

Le matin 3 décembre 1909

L’évocation de Zigomar lors d’une rencontre heureuse avec Robert Bonaccorsi m’a replongé des années en arrière. Ce sobriquet entendu lors de mon enfance au croisement du Zig, Zigoto, venait d’éveiller ma curiosité. J’avais croisé un Fantômas chez les Surréalistes, un docteur Cornélius chez Blaise Cendrars, et bien d’autres personnages, mais pas de Zigomar. Ce qui n’était pour moi qu’un nom commun issu probablement de la langue verte avait ses racines dans la littérature populaire à l’instar d’un Rocambole. La singularité de ses crimes (moustiques porteurs du typhus, macaroni qui tue…) m’avait mis sur la piste du génie du mal. Seulement, je devais très vite constater que Zigomar avait disparu. Il était déjà très difficile de retrouver les publications d’une littérature fragile par son rejet d’estime (heureusement les temps changent), et par la faible qualité de fabrication (absence de couverture de protection, papier à pâte mécanique qui se dégrade très vite). Le développement d’internet n’y fera rien, les livres restent très rares. Aujourd’hui, Gallica nous permet de retrouver les 164 livraisons du feuilleton. Ses premières aventures paraissent le 7 décembre 1909 dans le journal Le Matin et vont durer jusqu’au 22 mai 1910, puis réapparaître le 12 juillet pour prendre fin le 13 novembre 1910. Cette série va avoir un énorme succès. Zigomar est décliné sous toutes les formes, on le retrouvera même sous la forme de bonhomme en pain d’épice… La force du fait divers à travers le relais des journaux populaires, les tensions politiques et internationales, font qu’en cette période qui précède la première guerre mondiale l’impact de personnages tels que Zigomar ou Fantômas est immense sur le public, au point de faire entrer ce premier dans le vocabulaire commun.

Acrostiche dans « Le matin » du 3 décembre 1909. Zigomatique…

Le feuilleton sera repris ensuite en 1913 sous forme de fascicules (28) chez l’éditeur Ferenczi. Les aventures mettent aux prises le sinistre Zigomar et sa bande des « Z » avec la police sous le commandement de Paulin Broquet. De nouvelles aventures le mèneront même jusqu’en Allemagne où il ira trahir la France (Zigomar au service de l’Allemagne, 1916).

Léon Sazie (1862, 1939), passionné d’escrime, trouvera avec Zigomar le personnage principal de son œuvre. La rareté des infos sur cet auteur et sur la genèse de ses personnages rend possible toutes les origines sur le nom de Zigomar: le Z sur les lames des sabres série Z, le Zygomar pour le sabre tel que l’on peut le retrouver dans l’argot des tranchées, ou bien encore le personnage d’une pièce de Grandillot ? On peut retrouver une indication dans l’œuvre de Sazie  » Nous sommes les Djinns, les Tziganes, les Gitanos, les Gitanes, les Gypsy, nous sommes les Romanichels, les Ramogiz ! […] Ramogiz que par tradition, renversant le nom, nous appelons Zigomar !… Zigomar c’est le cri des Ramogiz ! » Jeu sur l’homophonie de « zigue » et « tzigane » ce serait un moyen d’évoquer les origines de la bande des Z, entre l’apache, l’étranger et le bohémien comme le précise Dominique Kalifa.
On trouve également de Sazie une série, légèrement antérieure à Zigomar, Martin Numa publiée en 1908 dans le journal L’Oeil de la police ainsi qu’une livrée de romans sentimentaux.Puis Sazie délaissera son activité d’écrivain pour se consacrer pleinement à l’escrime, il sera inventeur de pointes et de bottes aux côtés de Paul Mahalin .

Le nouveau coup de Zigomar. Édition 1948.

Jusqu’à son retour, ou du moins un semblant de retour, en 1948 , à la demande des éditions Taillandier: Le retour de Zigomar. On y retrouve l’inspecteur Paulin Broquet qui, à l’image d’un Juve, est grand connaisseur du criminel qu’il poursuit. Ce retour sera l’occasion pour Sazie de jouer avec la complicité du lecteur autour d’une supercherie: le maître de l’invisible se cache-t-il toujours sous sa cagoule ?

L’évocation de l’inspecteur et celle du bandit masqué n’est donc pas sans rapprocher ces deux héros que sont Zigomar et Fantômas. Il est fort probable que le premier ait pu inspirer les auteurs du second. Quoi qu’il en soit, ces personnages masqués marquent une époque où le héros peut devenir celui qui nous fait basculer du coté de la peur et sans plus aucun souci de moralité.  Ces deux voleurs de visages s’emparant des identités d’autrui sont liés par leur amoralité et leur goût du crime gratuit, leurs auteurs par leur écriture semi-automatique (Fantômas aura d’ailleurs été largement célébré par les Surréalistes), ainsi que par les différentes adaptations cinématographiques de leurs œuvres. L’histoire ne retiendra que Fantômas (j’y reviendrai dans un prochain billet), même si aujourd’hui beaucoup ne connaissent, malheureusement, que la farce cinématographico-burlesque.
Les raisons de la disparition de Zigomar tiennent sans doute à son format, au passage en feuilletons, à la dispersion des épisodes d’où découle un manque d’unité narrative. Fantômas, lui, contient tous les éléments du mélodrame et donc a pu favoriser un attachement plus profond des lecteurs.
Voilà donc quelques traces dans la toile d’un coin d’oubli pour celui qui aura poussé jusqu’au bout la logique de la disparition.

Les couvertures de Georges Vallée restent emblématiques. L’usage d’une forme de typographie ornementale ajoute une marque à la sanglante signature de Zigomar.

Zigomar n°13

Zigomar n°20

Zigomar n°21

à lire :

*  R. Bonaccorsi dans Les nombreuses vies de Fantômas, Les moutons électriques, 2006

Dominique Kalifa, ‘ »Zigomar« , grand roman sériel (1909-13), in, Crime et Culture au XIXe siècle, Paris, Perrin, 2005

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Un commentaire pour Z’à la vie ! Z’à la mort !

  1. Tororo dit :

    Bonjour Monsieur Pop! Merci pour cette mise au point. J’avais, moi aussi, du mal à situer Zigomar, dont le nom n’évoquait pour moi que le souvenir d’un prof d’histoire qui – déjà âgé dans les années 60: il avait très bien pu assister à la naissance de ce zigue – mettait régulièrement ses élèves en garde contre les conséquences auxquelles ils s’exposeraient s’il leur prenait envie de faire les Zigomars dans sa classe.

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