Amusé des erreurs

Passons donc à cette dernière partie annoncée dans le billet précédent.
Peu d’auteurs pourraient se vanter, dans les années 20, d’avoir eu l’idée de réunir au sein d’un même ouvrage autant de personnalités importantes de l’avant-garde littéraire et artistique de l’époque dont la reconnaissance n’avait pas encore atteint les portes de la renommée. C’est ce que les auteurs de ce Musée des erreurs vont faire dans leur dernière partie nommé Le Cabanon.
Nous pouvons y retrouver dans l’ordre d’apparition :

  • Jean-Pierre Brisset avec un extrait de son livre Les Origines humaines. Élu prince des penseurs par Max Jacob , Stefan Zweig, Apollinaire entre autres. Marc Decimo vient de fêter les 100 ans de son principat le 13 avril 2013. Son œuvre des plus singulières est à découvrir entre sa Grammaire logique, La science de Dieu ou bien encore sa théorie des mouvements natatoires…
  • Rose Sélavy, dans un premier temps orthographié avec un seul R, est le double de Marcel Duchamp: « Le rôle principal de Rrose Sélavy consiste à parler au nom de Marcel Duchamp et à authentifier son œuvre écrite. » (Georges Hugnet) Ses premiers textes apparaissent dans le Cœur à barbe et Littérature mais ce sera surtout à travers ses « oracles » que les phrases de Rrose resteront célèbres : « Rrose Sélavy et moi esquivons les ecchymoses des Esquimaux aux mots exquis. »
  • Albert Gleizes, un des fondateurs du cubisme.
  • Pierre de Massot, dadaïste et premier historien de Dada. Auteur d’un très bel ouvrage sur Breton envers qui il ne fut point rancunier d’un bras cassé lors de la bagarre qui eut lieu pendant la représentation de Cœur à gaz. « Puis, intermède inattendu, Breton se hisse jusqu’à la scène et s’y établit en malmenant les acteurs. Ces derniers empêtrés dans des costumes de Sonia Delaunay, composés de carton rigide, ne peuvent se protéger des coups, et s’efforcent de fuir à tout petits pas. Sans douceur, Breton gifle Crevel et, d’un coup de canne, casse le bras de Pierre de Massot. » Georges Hugnet cité par Jacques Baron dans L’An 1 du surréalisme, Denoël 1969. Il fut aussi un des fondateurs du mouvement Instantanéiste avec Tzara, mouvement « rival » du surréalisme.
  • Erik Satie, dont on connaît la musique mais dont on oublie qu’il est un des rares artistes à avoir traversé les siècles et connu les mouvements d’avant-garde des Incohérents aux Dadaistes.
  • Gabrielle Buffet, liée aux avant-gardes, auteur et traductrice de Kandinsky, elle fut également la compagne de Francis Picabia.
  • E.-T.-T. Mesens, musicien ami de Satie, puis auteur dadaiste, galeriste il expose Magritte, Ernst, il collabore également à de nombreuses expositions et revues surréalistes. Bref, si son nom est peu connu, son influence est très importante dans l’art d’aujourd’hui. Comme pour illustrer son coté « homme de l’ombre », il faut noter qu’en qualité d’auteur c’est à lui que l’on doit la ritournelle des émissions antinazies de la BBC : « Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand. »

Voilà, à une exception près, les artistes présentés dans ce Cabanon.
Cependant, si à Marseille le cabanon évoque une petite maison de pêcheur où il fait bon se détendre aux heures chaudes, il faut plutôt comprendre à la lecture de l’introduction de cette dernière partie qu’il s’agit ici d’une tout autre signification du terme de cabanon : le lieu où l’on enferme les fous dangereux.
Les auteurs de ce Musée des erreurs ont donc réuni sous cette partie ceux qu’ils classent dans la catégorie des fous et sans guère de respect pour ces personnages.
Leur manque de clairvoyance est donc inversement proportionnel à la qualité des artistes réunis !
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Si ce jugement fait aujourd’hui sourire, il est néanmoins intéressant de le considérer comme le témoin d’un temps où l’avant- garde allait faire voler en éclat l’art bourgeois et bienséant.

En dressant cet inventaire, j’ai précisé qu’à une exception près la liste était complète. C’est qu’il se trouve dans ces pages une curiosité. Les poésies d’Isabelle Korn. Je n’ai trouvé aucune trace de cette poétesse. Ses textes se sont-ils limités à cette revue algérienne ? Le premier reproduit est dédié à Franc-Nohain. Cette dédicace au poète « amorphe » est sans doute liée à la participation de ce dernier à différentes revues voire même à celle qu’il a créée le Canard sauvage et dans lesquelles Isabelle Korn avait très bien pu découvrir quelques poèmes de ce dernier et son humour décapant. Cependant, il faut aussi garder en tête que cette bande du Chat noir n’hésitait pas à changer de nom parfois.
D’ailleurs, Curnonsky (un des auteurs de ce Musée des erreurs) est également un pseudonyme. Maurice Edmond Sailland a fait valider son surnom de Curnonsky par Alphonse Allais.
L’histoire se complique car Allais était proche de Curnonsky, de Franc-Nohain mais aussi de Satie. Mesens était également proche de Satie à ses débuts et Gabrielle Buffet a débuté dans le milieu musical, bref ce Cabanon a de quoi rendre fou !
Il est donc bien difficile de juger de sa finalité

En attendant d’en savoir plus sur cette Isabelle Korn, pseudonyme ou poétesse oubliée, je vous laisse apprécier son univers.

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3 commentaires pour Amusé des erreurs

  1. Corne d'auroch dit :

    Quelques recherches m’ont amené à un recueil Poètes d’Oranie (rien à voir avec Uranie), éditions Fouché, 1930. On y trouve quelques poèmes :
    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k378645m/f185.image

    Le livre : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k378645m

    Et comme dirait Isabelle, «C’est pas de la crotte de bique!»

  2. Chambeurlant dit :

    D’après la préface d’Alfred Cazes dans Choix de Poésies d’Isabelle Korn, cette Isabelle Korn est bien un pseudonyme d’une femme proche de Cazes (qu’il publiait mais qui écrivait aussi des articles de philosophie pour la Revue des Deux Mondes…) mais le secret est bien gardé ! Si depuis vous avez trouvé qu’elle personne se cache derrière ces poèmes, merci d’avance de me faire signe.
    Cordialement

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